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Attention émotionnelle et désirabilité

Attention émotionnelle et désirabilité

Lundi, Janvier 29, 2024

L’attention émotionnelle est une notion déterminante offrant une porte d’entrée vers la compréhension des mécanismes non conscients à la base de nos préférences et de nos choix. Il existe aujourd’hui des façons de la mesurer de manière scientifique, donc rigoureuse, permettant de prédire le comportement du consommateur dans son parcours d’achat. Explications dans ce nouvel article de KeyEmotion Lab.

L’attention est un concept central de notre cognition. C’est l’attention qui nous permet de diriger nos actions vers des éléments spécifiques de notre environnement à des moments précis et de maintenir ces éléments dans notre mémoire de travail afin de les traiter le mieux possible. L’attention nous permet de sélectionner ce qui sera traité dans une situation où nos systèmes perceptifs encodent bien plus d’informations que ce que nous sommes capables de traiter. Nos capacités de traitement sont en effet très limitées : contrairement à un ordinateur, qui peut effectuer une quantité invraisemblable d’opérations simultanément, notre cerveau peine à effectuer plusieurs tâches à la fois. C’est la raison pour laquelle téléphoner en conduisant n’est pas recommandé…

Attention exogène et attention endogène 

Si notre système attentionnel a des capacités limitées, le choix de ce qui doit être traité en priorité représente donc une question cruciale. Globalement, nous disposons de deux systèmes attentionnels distincts, l’un sous-tendant l’attention exogène ou automatique, fonctionnant dans un sens dit « bottom-up » ou ascendant, l’autre sous-tendant l’attention endogène ou volontaire, fonctionnant dans un sens dit « top-down » ou descendant. Imaginez un champ de tulipes rouges ; la présence dans ce champ d’une tulipe jaune sera immédiatement et automatiquement perçue car elle sollicitera nos capacités d’attention exogène. Imaginez maintenant que ce champ comporte autant de tulipes rouges que de tulipes jaunes, que la moitié des tulipes rouges soient penchées à la suite d’un orage violent, mais que seule une tulipe jaune soit penchée (supposons que les tiges des tulipes jaunes soient plus résistantes…). Dans ce deuxième cas, l’identification de la tulipe jaune penchée prendra du temps car elle nécessitera la mobilisation de votre attention endogène ou volontaire. Une activité de recherche volontaire et contrôlée devra être déployée parmi les tulipes jaunes pour retrouver la tulipe penchée. Le fait que nous disposions de sous-systèmes distincts pour ces deux types d’attention est corroboré par le fait qu’ils sont sous-tendus par des réseaux cérébraux différents : un réseau à prédominance ventrale (temporale) pour l’attention exogène et un réseau à prédominance dorsale (pariétale) pour l’attention endogène.

Le concept d’attention émotionnelle 

Dans l’exemple qui précède, l’identification d’une tulipe ne représente en aucune façon un processus vital pour l’individu. Mais, dans certaines situations, l’identification d’un objet peut être cruciale : imaginez la présence d’un chat au milieu de l’autoroute alors que vous roulez à vive allure, d’un couteau dans la main d’une personne que vous croisez dans la rue en rentrant chez vous tard le soir… ou imaginez encore ce vendeur de sodas que vous rencontrez sur une plage alors que vous êtes assoiffé… Dans ces cas, on parlera plutôt d’attention émotionnelle car la présence de ces éléments sera à la base d’un épisode émotionnel. Il est intéressant de se demander si cette attention émotionnelle est plutôt de nature exogène ou endogène… En réalité, elle est un peu des deux. La présence du couteau va attirer votre attention de façon automatique, au même titre que la présence d’un serpent ou d’une mygale devant vos pieds. Mais l’identification de la présence du vendeur de soda sera facilitée si vous êtes assoiffé. En d’autres termes, sa détection sera facilitée par votre état interne. Dans les deux cas, nous sommes en présence d’un processus essentiellement automatique que nous serions donc tentés de qualifier d’exogène ou « bottom-up ». Toutefois, ce processus tient néanmoins compte de vos buts et besoins (rester en vie, ou ne pas mourir de soif), des facteurs que l’on pourrait qualifier de « top-down ». Or, malgré le caractère « top-down » de ce processus, l’attention n’est nullement dirigée de manière contrôlée vers un objet identifié.

En somme, il conviendrait plutôt de concevoir l’attention émotionnelle comme ni typiquement exogène, ni typiquement endogène. C’est un concept spécifique développé pour rendre compte des effets attentionnels exercés par un objet ou une situation à la base d’un épisode émotionnel. Les effets de l’émotion sur la cognition sont multiples. L’émotion agit sur la mémoire, le raisonnement, la motivation, la tendance à l’action, la prise de décision… mais son effet le plus précoce dans le cadre d’un épisode émotionnel est un effet attentionnel. Nous sommes donc en présence d’un système qui nous permet d’orienter notre attention et de sélectionner pour des traitements plus poussés tout objet apparaissant dans notre environnement susceptible de jouer un rôle important pour notre bien-être ou notre survie. Il s’agit aussi bien de détecter la présence d’un objet potentiellement dangereux que celle d’un objet facilitateur ou obstructif pour nos buts ou nos besoins. Sur le plan de l’évolution, il s’agit d’un système déterminant pour assurer la survie de notre espèce.

La détection de la pertinence

Parmi les modèles rendant compte des processus émotionnels, ce sont ceux de l’appraisal qui sont les mieux armés pour expliquer les effets de l’attention émotionnelle sur la cognition. Dans ces modèles, l’évaluation de la pertinence est la première étape d’une chaîne d’évaluations d’un stimulus ou d’une situation et des conséquences de leur présence pour un individu. Différents types de pertinences sont détectés : le seul fait qu’un objet nouveau et non familier apparaisse dans notre environnement visuel est déjà pertinent en tant que tel et mérite qu’on y prête attention. De plus, le caractère de pertinence intrinsèque de l’objet est important (est-ce plutôt un billet de 100 Euros ou une grosse araignée ?). Le fait que l’objet soit susceptible de satisfaire nos buts et besoins est tout autant pertinent. Dans tous les cas, quels que soient la nature et le sens de la pertinence (facilitatrice ou obstructive par rapport aux buts et besoins), l’objet mérite qu’on y prête attention, soit en vue d’une approche, soit en vue d’un évitement. Dans les modèles de l’appraisal, la détection de la pertinence exercera des effets précoces majeurs sur l’attention et aura également des répercussions immédiates sur l’état du corps (réponses physiologiques, tendances à l’action, expressions motrices). 

Un concept applicable à toutes les modalités perceptives

Dans les exemples considérés ci-dessus, nous avons principalement considéré l’attention émotionnelle dans le cadre de la perception visuelle. Toutefois, l’attention émotionnelle peut également se déployer à l’intérieur de la modalité auditive, privilégiant la sélection de certains signaux auditifs dans un flux d’informations de différentes natures. On peut également concevoir son existence au sein de la modalité olfactive, privilégiant l’identification d’odeurs en rapport avec nos buts et besoins ou notre survie, comme une odeur de café ou de croissants frais le matin, ou une odeur de gaz, d’appareil électrique en surchauffe ou de fumée, dans un autre registre. En réalité, nous ne possédons pas de réserve de ressources attentionnelles spécifique à chaque modalité. Toutes les modalités de prise d’information puisent leurs ressources attentionnelles au sein d’un « pool » unique à partir duquel les ressources sont réparties, en fonction des besoins, entre les modalités perceptives et entre différents objets ou différentes opérations au sein d’une même modalité. Les principes de base du fonctionnement de l’attention émotionnelle sont donc largement partagés entre les modalités.

Les études expérimentales sur l’attention émotionnelle

Pour tout un ensemble de raisons qu'il serait trop long de développer ici, c'est dans la modalité visuelle que les travaux sur l’attention sont les plus nombreux. C'est donc également dans cette modalité que la plupart des travaux sur l’attention émotionnelle ont été réalisés, en s’inspirant de paradigmes classiques de l’attention visuelle. Pour exemple, la tâche de « dot-probe », mesurant l’attention émotionnelle, a été développée en s’inspirant d’un paradigme attentionnel classique de Michael Posner. Dans cette tâche, deux stimuli visuels apparaissent simultanément, l’un situé dans un carré sur la gauche de l'écran d'un ordinateur, l'autre situé dans un carré situé sur la droite de l'écran. Juste après la disparition de ces stimuli, un point apparaît au centre du carré de droite ou du carré de gauche. La tâche du participant consiste à indiquer le plus rapidement possible, en activant une touche de réponse, si le point est apparu dans le carré de gauche ou de droite. Dans le cas où les deux stimuli sont neutres sur le plan émotionnel, le temps de réponse ne doit pas différer selon le carré où le point apparaît. Par contre, si l’un des stimuli est neutre, et l'autre chargé émotionnellement, la détection du point sera plus rapide s’il apparaît dans le carré où le stimulus émotionnel est apparu. Ce résultat est dû au fait que l’attention du participant a été captée par le stimulus émotionnel et donc déplacée dans le carré où il est apparu. Si le point apparaît là où l’attention vient d’être dirigée, le traitement perceptif du point et de sa localisation sera facilité et le temps de réponse sera donc plus court. Au contraire, si le point apparaît à l’endroit où le stimulus neutre est apparu, le participant devra désengager son attention de l’endroit où le stimulus émotionnel est apparu, la déplacer vers l’autre partie de l’écran où il devra la réengager avant de produire sa réponse, ce qui nécessitera du temps. 

Mesure d’un biais attentionnel non conscient

Cette méthode permet le calcul d’un biais attentionnel dont la force dépendra de la capacité du stimulus émotionnel à capturer l’attention du participant. La comparaison de la taille de ce biais dans différentes situations expérimentales où les caractéristiques des stimuli sont précisément manipulées, permettra de mieux comprendre l’adéquation d’un stimulus par rapport aux buts et besoins du participant. L’intérêt d’une telle mesure est qu’elle repose sur des mécanismes automatiques et non conscients qui ne peuvent donc pas être contrôlés par le participant, au contraire de mesures explicites ou déclaratives.

Vers une mesure novatrice de la désirabilité 

Cette méthode fait partie des outils de KeyEmotion Lab permettant l’étude de l’attention émotionnelle. Par une manipulation précise et théoriquement motivée des temps de présentation des stimuli et une modélisation des effets de différents types de pertinence sur l’attention émotionnelle, les tests de KeyEmotion Lab fournissent des indices prédictifs de la désirabilité (wanting) d’un stimulus (p.ex., un produit) par le consommateur et permettent de prédire son comportement et, in fine, l’intention et l’acte d’achat. Cette méthode, bien que basée sur l’attention émotionnelle accordée à des stimuli visuels, offre l’avantage considérable de pouvoir être déployée pour la mesure de la désirabilité de stimuli de toute modalité perceptive (olfactive, gustative, tactile ou tactilo-kinesthésique). KeyEmotion Lab fonde en effet son savoir-faire sur un paradigme développé en recherche fondamentale, ayant fait l’objet de plusieurs publications scientifiques récentes, dans lequel la mesure de l’attention émotionnelle n’implique pas la présence physique du stimulus tel qu’il existe dans la réalité. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à nous contacter via la rubrique "contact" du présente site.

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