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Pour une approche 360° de la mesure des émotions
L’émotion générée par la perception d’une publicité, d’un packaging ou par l’utilisation d’un produit suscite un intérêt croissant. Cet intérêt s’explique par le fait qu’il est communément admis que cette émotion peut exercer un effet sur la désirabilité d’un produit ou d’un service, voire, sur l’acte d’achat. La question de la mesure de cette émotion demeure, elle, controversée. Preuve en est la diversité des méthodes et des approches proposées pour la mesurer. Nous défendons l’idée qu’une approche unique et simplifiée—même si elle apparaît attractive, car relativement compréhensible et apparemment facile à opérationnaliser—n’est probablement pas suffisante pour prendre en compte la complexité des processus émotionnels à la base de la tendance à l’action et de la prise de décision. Par ailleurs, toute approche de l’étude des émotions non ancrée solidement dans un cadre théorique considérant l’émotion au cœur de la cognition ne peut être satisfaisante. Nous défendons l'idée selon laquelle la meilleure approche possible à ce jour est de type 360°, avec une prise en compte d’éléments implicites, de données sur les caractéristiques de la cible, et de données déclaratives, le tout s’inscrivant dans un cadre théorique solide.
Est-ce que ce produit vous plaît ? Est-ce qu’il vous donne envie ? Seriez-vous susceptible de l’acheter ? Quelle émotion suscite-t-il ? Comment vous sentez-vous après son utilisation ? Le recommanderiez-vous à un ami ?… Toutes ces questions, qui nous semblent importantes au cours du processus de développement ou d’amélioration d’un produit, sont de type explicite ou déclaratif. C’est-à-dire que la réponse s’exprime par le langage et est sous le contrôle de la conscience. Or il est aujourd’hui couramment admis que le fait de se fier au déclaratif peut être trompeur, car sujet à différents biais. Un premier biais est que la personne interrogée anticipe la réponse attendue et que, souhaitant faire plaisir à celle ou celui qui l’interroge, ne livre pas toujours le fond de sa pensée. Un autre biais est que la personne interrogée soit gênée d’exprimer ce qu’elle ressent réellement. La liste de ces biais pourrait s’allonger, mais une autre raison majeure peut expliquer les limites du déclaratif : les participants à ces tests n’ont simplement pas accès à tous les éléments à la base de leur tendance à l’action et de leur prise de décision car ceux-ci demeurent opaques à l’introspection. Ce que disent les consommateurs interrogés n’est donc pas toujours ce qu’ils feront.
Il est donc devenu courant de rechercher des indices non verbaux des préférences des consommateurs pour tenter de déterminer leurs préférences et prédire leur comportement. « Regarder directement les réactions cérébrales », sans passer par le déclaratif, telle a été la piste prometteuse du neuromarketing. Il est indéniable que le cerveau est bien l’organe qui abrite l’ensemble des mécanismes d’intérêt, allant de la perception à la prise de décision et tenant compte de l’accumulation de toutes les traces de nos expériences antérieures. Toutefois, décrypter précisément le fonctionnement du cerveau lors de la perception d’un objet ou d’une publicité par le consommateur pour en prédire le comportement de ce dernier reste encore du domaine de l’utopie. D’une part, le moment où l’activité cérébrale est enregistrée est dans la plupart des cas à distance de celui où la décision d’achat sera prise. Outre cette différence temporelle, une différence de contexte peut également intervenir : un consommateur allongé sur le dos dans le tunnel et le bruit assourdissant d’une IRM ou assis sur une chaise dans un laboratoire, la tête recouverte d’un bonnet comportant une centaine d’électrodes, n’est pas dans le même contexte que lorsqu’il fait ses achats dans un magasin ou en ligne, assis devant son ordinateur ou son smartphone à la main. À ces difficultés s’ajoute celle, de taille, que pour obtenir des mesures fiables de l’activité cérébrale, de nombreux critères doivent être respectés comme, par exemple, la nécessité et le bon choix de situations contrôle, le contrôle du temps de présentation des stimuli ou encore le contrôle des stimuli eux-mêmes, tant en termes de leurs caractéristiques perceptives qu’en termes de leur complexité. Concernant ce dernier point, autant il est possible de mesurer précisément l’activité cérébrale consécutive à la présentation limitée dans le temps d’un stimulus unique, autant cette activité devient aléatoire suite à la présentation d’un stimulus complexe dont la durée est de plusieurs secondes, comme un film publicitaire, par exemple. Dans ce dernier cas, il sera certes possible de mettre en évidence des activations cérébrales dans des zones frontales ou pariétales qu’on attribuera à la présence de réponses attentionnelles, ou dans des zones médio-temporales qu’on attribuera à une activité d’encodage en mémoire, ou encore dans des régions sous-corticales, frontales ou du cortex insulaire qu’on attribuera à la présence de réactions émotionnelles. L’origine de ces différentes activités restera toutefois purement spéculative.
Des indices non déclaratifs des préférences du consommateur peuvent également être recueillis au moyen de tests dits implicites, dans le sens où ces tests permettent d’accéder aux préférences du consommateur sans l’interroger directement. Il s’agit par exemple de tests d’amorçage ou d’associations implicites. Dans un test d’amorçage, il peut être demandé au participant de dire le plus rapidement possible si un mot dit « cible » appartient ou non à la langue française (ou anglaise, si le test se fait en anglais). Or, si ce mot est précédé d’un mot « amorce » partageant une propriété sémantique avec le mot test, la réponse d’appartenance à la langue sera facilitée (donc plus rapide). Cet effet d’amorçage s’explique par le fait qu’un lien préexiste en mémoire entre l’amorce et la cible et que la perception de l’amorce active automatiquement les éléments qui lui sont associés, dont la cible. Cela permet donc d’étudier une association particulière entre, par exemple, une marque ou un nom de produit (amorce) et une qualité comme le mot « plaisir » (cible). Dans le cas du test d’associations implicites, le principe est proche, dans le sens où si deux éléments sont associés en mémoire, il est plus facile pour le participant au test d’utiliser la même modalité de réponse (p.ex., répondre au moyen de la même main lorsque l’un ou l’autre de ces éléments apparaît à l’écran) que d’utiliser une modalité de réponse différente (répondre en utilisant la main gauche pour l’un et la main droite pour l’autre). L’intérêt de ces tests implicites est d’obtenir des informations sur les représentations internes des consommateurs de façon indirecte, donc sans leur poser la question directement. Les limites des tests implicites est que leurs résultats sont sujets à de nombreux biais, ce qui rend indispensable de choisir avec le plus grand soin et la plus grande compétence les stimuli d’intérêt comme celui des nombreux stimuli distracteurs nécessaires, le choix des temps de présentation et du délai temporel entre l’amorce et la cible. Ces tests nécessitent aussi de nombreuses conditions « contrôle » et un nombre de participants élevé. Enfin, le nombre d’associations pouvant être étudiées par expérience est très restreint.
D’autres indices non déclaratifs des émotions ressenties par le consommateur peuvent également être recherchés parmi une multitude de réponses psycho-physiologiques (fréquence cardiaque, variation du rythme cardiaque, température corporelle, réponse électrodermale, dilatation pupillaire, taux de cortisol salivaire…) ou des réponses comportementales censées être spontanées et non contrôlées consciemment par le participant, comme les expressions faciales (via le « facial coding »). Les mesures psycho-physiologiques s’avèrent utiles pour attester la présence d’une réaction émotionnelle suite à la perception d’un objet. Mais rien ou peu n’est dit sur la nature de cette réaction. La littérature scientifique a montré néanmoins quelques résultats dignes d’intérêt : une fréquence cardiaque basse peut être associée à la joie, au dégoût ou à la surprise. Une fréquence cardiaque élevée avec une température cutanée élevée est un signe pouvant caractériser la colère. Au contraire, une fréquence cardiaque élevée associée à une température cutanée basse caractérise plutôt la peur ou la tristesse. Les études qui ont tenté d’identifier précisément l’émotion ressentie en multipliant les indices psycho-physiologiques recueillis se sont avérées infructueuses. Un premier problème est qu’un même indice apparaît dans plusieurs émotions dites « discrètes » (comme les six émotions de base que sont la joie, la tristesse, la colère, le dégoût, la peur et la surprise). Un second problème est qu’une réaction émotionnelle n’est souvent pas limitée à la présence d’une seule émotion discrète, mais qu’elle se caractérise par un « cocktail émotionnel » fait de différentes émotions intervenant chacune à des niveaux d’intensité différents, et qui sont par ailleurs bien plus nombreuses que les six émotions de base. Le fait que de tels « cocktails » soient des entités dynamiques qui évoluent rapidement dans le temps ajoute un degré de complexité au problème qui n’en manquait pourtant pas.
La mesure des expressions faciales, elle, a suscité un intérêt croissant au cours de ces dernières années. Parmi les raisons à la base de cet intérêt figure la facilité d’enregistrement des expressions faciales, via les webcams de nos ordinateurs et smartphones, ainsi que les progrès informatiques permettant d’identifier rapidement et automatiquement les « unités d’actions » à la base de nos expressions faciales. De surcroît, cette identification peut s‘effectuer sur des dizaines, voire des centaines de visages simultanément, en présence d’une foule de spectateurs, par exemple. Les systèmes les plus performants à ce jour autorisent des taux de reconnaissance des expressions faciales de plus de 90%, (en comparaison avec un taux de 100% issu de réponses d’experts humains). Le recueil de tels indices souffre toutefois de limites majeures. D’une part, les systèmes d’analyse (informatisés ou non), arrivent difficilement à distinguer une expression correspondant réellement à l’émotion ressentie d’une expression feinte. Ils peinent aussi à distinguer une expression produite pour exprimer autre chose que l’émotion à laquelle on l’associe habituellement : par exemple, comment distinguer un rire sarcastique d’un rire naturel, sincère et spontané ? D’autre part, les émotions dérivées des analyses de l’expression faciale correspondent souvent aux émotions discrètes dites « de base », pouvant être complétées de quelques autres émotions. Or, comme expliqué plus haut, l’état émotionnel d’un individu correspond souvent à un cocktail d’émotions qui échappe encore à l’analyse du facial coding. Enfin, plusieurs travaux ont montré que même des experts évaluaient différemment une même expression faciale présentée dans un contexte différent. Par exemple, des photographies de visages présentées à des experts comme provenant de sportifs venant de gagner ou de perdre une compétition pouvaient être traitées comme véhiculant des émotions totalement opposées.
En résumé, cet examen des méthodes—loin d’être exhaustif—utilisées pour mesurer les émotions induites par la perception d’un produit, d’un packaging, d’une publicité ou par l’utilisation d’un produit révèle les limites de chaque méthode, qu’elle soit déclarative ou de nature implicite. KeyEmotion Lab, société composée de scientifiques qui ont utilisé dans le cadre de leurs travaux en recherche fondamentale la plupart des méthodes décrites plus haut et qui ont pu en apprécier les avantages et les inconvénients, propose aujourd’hui une approche novatrice pour mesurer les émotions et prédire la tendance à l’action et la prise de décision.
Cette approche est issue de travaux effectués par les collaborateurs de KeyEmotion Lab et par d’autres chercheurs dans le cadre des théories émotionnelles dites de « l’appraisal ». Cette approche n’est pas basée sur l’identification d’émotions discrètes, mais sur le résultat de l’évaluation d’un ensemble de critères très précis pouvant donner lieu à des patrons d’évaluations spécifiques qui vont influencer la motivation, la tendance à l’action et la prise de décision. Il a été montré récemment que la prédiction du comportement du consommateur est bien plus précise à partir de ces critères qu’à partir des émotions discrètes. La plupart des mécanismes cognitifs impliqués dans ce processus d’évaluation échappe à l’introspection. C’est la raison pour laquelle KeyEmotion Lab utilise certains indices implicites dans son modèle d’analyse. Toutefois, certains processus débouchent sur une prise de conscience qu’il est également pertinent de prendre en compte. C’est pourquoi KeyEmotion Lab utilise certains éléments déclaratifs provenant de la cible interrogée. Des éléments factuels concernant cette cible sont également importants et doivent aussi être pris en compte. L’approche de KeyEmotion Lab est donc une approche de type «360 degrés», ce qui représente une avancée majeure dans l’étude des émotions au service de la publicité et des analyses sensorielles. Mais, plus que tout, cette approche se fait dans le cadre d’un modèle théorique du fonctionnement émotionnel, s’appuyant sur les résultats de travaux de recherche fondamentale récents. Cette approche permet non seulement de prédire la tendance à l’action et la prise de décision, mais de fournir une explication détaillée des raisons qui en sont à la base. La compréhension de ces raisons représente une source d’inspiration unique et opérationnelle pour l’optimisation des produits, des packagings et des publicités.