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Pourquoi aime-t-on avoir peur ?

Pourquoi aime-t-on avoir peur ?

Lundi, Octobre 30, 2023

La peur récréative représente une vraie source de plaisir. Mais quelle est la différence entre la peur récréative et la peur réelle ? Reposent-elles sur des mécanismes cognitifs ou cérébraux différents ? Explications dans ce nouvel article de KeyEmotion Lab.

Les émotions ont une fonction adaptative car elles nous aident à produire un comportement adapté aux situations nouvelles de l’environnement. Par exemple, le dégoût nous incite à ne pas consommer des aliments qui pourraient nuire à notre santé. La peur, elle, nous incite à éviter les situations qui pourraient nous mettre en danger. La peur est donc bénéfique, pour l’espèce humaine comme pour les animaux. Elle est caractérisée par des changements dans l’expression faciale, censés nous permettre de capter davantage d’informations de l’environnement. Elle s’accompagne également de réponses physiologiques et musculaires censées nous préparer à la fuite ou au combat. Enfin, elle entraîne des modifications de la cognition, caractérisées par une inhibition de certaines activités mentales ou profit d’autres : par exemple, dans une situation de peur générée par la présence d’un animal dangereux, nous allons moins penser à l’état de notre compte en banque qu’à la configuration des lieux dont l’analyse nous permettrait de trouver un abri pour nous protéger. La peur représente donc une incitation à réagir au moyen de réponses adaptées pour se protéger ou assurer sa survie. 

Pourtant, la peur peut jouer un rôle récréatif. On peut en effet adorer se faire peur, que ce soit en regardant un film d’horreur, en montant sur un manège effrayant dans un parc d’attraction, ou en pénétrant dans une maison hantée. La peur récréative est une activité attractive car elle procure des sensations semblables à celles ressenties dans une situation de peur réelle, mais en l’absence des risques associés. En effet, notre cerveau est « programmé » pour décoder automatiquement tous les signaux susceptibles de nous informer d’un potentiel danger, même quand la situation ne comprend pas de risque réel. Ainsi, les mêmes mécanismes semblent être impliqués dans une situation de peur réelle que dans la peur récréative. 

L’amygdale, qui joue un rôle dans de nombreuses émotions, est au cœur de ces mécanismes. En stimulant électriquement l’amygdale chez l’Homme (cela peut se faire dans le cadre du traitement de patients épileptiques chez lesquels des électrodes sont implantées dans l’amygdale afin d’étudier son implication dans le déclenchement des crises épileptiques), différentes réactions émotionnelles (comme la peur), peuvent être observées. Ce qui est remarquable, c’est que ces réactions diffèrent selon l’individu et qu’elles diffèrent également d’un jour à l’autre chez un même individu. L’activité de l’amygdale n’est donc pas en elle-même suffisante pour produire une réaction émotionnelle spécifique. On sait que l’amygdale possède de nombreuses connexions avec un ensemble de zones du cortex préfrontal, du lobe temporal antérieur, et plusieurs structures sous-corticales. Les zones du cortex préfrontal reçoivent et associent des informations provenant de toutes les modalités sensorielles, y compris des données informant sur l’état du corps. L’ensemble de ces données représente donc une image actuelle de toutes les entrées pertinentes caractérisant l'expérience qui est en train d’être vécue. En d’autres termes, il s’agit d’une « photographie » du contexte représentant le moment présent. L’activité de l’amygdale dépend donc de ce contexte, capté et intégré au niveau du cortex préfrontal et plus particulièrement la partie inférieure interne du cortex préfrontal ventro-médian, le cortex orbitofrontal. Le contexte et son évaluation sont donc importants dans la genèse de l’émotion de peur. D’un jour à l’autre, le contexte différera pour un même individu, et différents individus pourront évaluer un même contexte de façon différente. 

Cela explique qu’une même situation potentiellement anxiogène ne générera pas forcément la peur ou une peur de même intensité chez un individu ou un autre, ou à un moment ou un autre chez le même individu. Cette notion d’intensité de peur est importante, car si la peur est d’intensité trop faible ou trop forte, elle ne pourra pas être « récréative ». Marc Malmdorf Andersen de l’Université d’Aarhus et cinq autres collègues anglais ou américains ont réalisé en 2020 une expérience « de terrain » intéressante en testant plus d’une centaine de participants à l’intérieur de la maison hantée d’un parc d’attraction. Ces participants étaient équipés notamment de moniteurs de l’activité cardiaque et de systèmes d’enregistrement vidéo. À la sortie de l’attraction, ils devaient répondre à un questionnaire et auto-évaluer leur niveau de plaisir et de peur ressenti à tel ou tel moment de leur progression dans la maison hantée. Les chercheurs ont montré que le plaisir était le plus intense lorsque le niveau de peur était « optimal », soit, ni trop faible, ni trop fort. Cette zone « optimale » correspondait aussi à un rythme cardiaque qui était spécifique à chaque individu.  

Les hormones et les neurotransmetteurs jouent également un rôle majeur dans la peur récréative. La peur elle-même conduit à une augmentation de la production d’adrénaline, source d’énergie nécessaire pour affronter une situation potentiellement dangereuse. La peur conduit également à la production d’endorphines censées diminuer la douleur. Enfin, après avoir traversé avec succès un épisode anxiogène, notre cerveau produit de la dopamine, jouant un rôle majeur dans le circuit de la récompense. Certains individus peuvent développer une véritable addiction à ces substances et être ainsi constamment à la recherche de situations anxiogènes ou dangereuses. Il a été suggéré que des différences inter-individuelles dans les niveaux de production de ces hormones pourraient expliquer en partie les différences inter-individuelles d’addiction aux sensations fortes.  

Par ailleurs, le plaisir d’avoir peur peut aussi s’expliquer par le fait que les sensations ressenties (p.ex., augmentation de la fréquence cardiaque, tremblement ou sueur froide…), viennent nous confirmer que nous existons bien et sommes en vie, et cela nous rassure en quelque sorte. L’attrait pour la peur peut également servir de lutte contre l’anxiété. Dans une situation de peur, comme nous l’avons vu plus haut, nos pensées portent essentiellement sur la situation présente et nous oublions, l’espace de quelques instants, les évènements du quotidien qui peuvent être désagréables ou anxiogènes. Enfin, aimer avoir peur en compagnie d’autres personnes constitue une expérience susceptible de favoriser la cohésion sociale ; affronter un défi ensemble crée des liens et des souvenirs intenses.  

Pour conclure, on peut avoir peur au cinéma ou dans une maison hantée et aimer cela pour les sensations ou les réponses émotionnelles que ces situations nous procurent. Ces réponses, bien que pouvant différer d’un individu à l’autre, sont le résultat de traitements automatiques issus d’un héritage phylogénétique. Mais on ne s’échappe jamais de la salle de cinéma en courant à la vue du monstre qui apparaît à l’écran. Cet apparent paradoxe s’explique par le fait qu’une partie de notre cerveau reste fort heureusement aux commandes, évalue la situation dans toute sa complexité et nous indique que nous n’encourons aucun danger.

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