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L’achat d’une montre Scuba Fifty Fathoms ou d’une montre MoonSwatch, issues d’associations très médiatisées entre Swatch et Blancpain, d’une part, et entre Swatch et Omega, d’autre part, modifie-t-elle le désir de posséder une montre Blancpain ou Omega ? Le présent article tente de répondre à cette question en discutant des leviers émotionnels à la base du désir et de la décision d’achat. Il est notamment suggéré que des mesures implicites doivent compléter l’évaluation déclarative du désir. Enfin, la portée de cet article va au-delà de l’univers de l’horlogerie.
Cet été, Swatch et Blancpain se sont associés pour rendre hommage à l’emblématique montre de plongée Blancpain Fifty Fathoms, créée il y a près de 70 ans, en sortant une collection de montres Scuba Fifty Fathoms. Cette action s’inscrit dans le prolongement de l’association de Swatch avec Omega pour la sortie de la collection de montres MoonSwatch rendant hommage à la célèbre Omega Speedmaster Moonwatch. Cette association a connu–et connaît encore–un succès phénoménal.
L’objectif de cet article n’est pas de discuter de l’intérêt commercial de ces partenariats, effectués au sein d’un même groupe horloger, mais de se pencher sur les mécanismes émotionnels à la base du désir de posséder un objet d’exception. Plus précisément, la question traitée ici est la suivante : l’achat d’une montre Scuba Fifty Fathoms ou MoonSwatch a-t-il une incidence, positive ou négative, sur le désir de posséder une authentique montre Blancpain ou Omega ?
La question pourrait sembler saugrenue car, a priori, la cible d’une montre de quelques centaines d’euros n’est pas la même que celle d’une montre à dix, voire plusieurs dizaines de milliers d’euros. Toutefois, la notoriété de Swatch, s’ajoutant à un effet de mode et de rareté augmentant la valeur perçue et la désirabilité du produit, rend la cible des potentiels possesseurs d’une Scuba Fifty Fathoms ou d'une MoonSwatch particulièrement large. Par ailleurs, la question ne porte pas sur la probabilité d’un achat effectif d’une montre de luxe. On peut en effet raisonnablement prédire que nombreux sont les acquéreurs d’une Scuba Fifty Fathoms ou d'une MoonSwatch qui ne pourront s’offrir une montre de luxe. C’est la raison pour laquelle la question porte sur le « désir » de posséder l’original de Blancpain ou d’Omega et non sur l’intention d’achat après avoir acquis une Scuba Fifty Fathoms ou une MoonSwatch. Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de se pencher sur les raisons à la base du désir de possession et de la décision d’achat de ces objets. Dans un premier temps, nous tenterons d’identifier quelques raisons motivant l’achat d’une montre de luxe. Dans un second temps, nous nous pencherons sur celles motivant l’achat d’une Scuba Fifty Fathoms ou d'une MoonSwatch.
Plusieurs raisons poussent à acheter une montre de luxe. Il peut s’agir du plaisir de posséder un bel objet, comme une œuvre d’art, ou un objet rare, ou encore un mécanisme d’exception résultant d’une prouesse technologique et d’un savoir-faire que seuls possèdent quelques artisan-horlogers hors pair. Le plaisir de constituer une collection de beaux objets peut également motiver quelques amateurs. Posséder une montre de luxe, c’est aussi faire partie d’un groupe, dont les membres partagent l’histoire, réelle ou construite, liée à la marque. Cette histoire nous connectera aux pionniers de l’aviation, à l’univers des courses automobiles, aux événements de voile prestigieux, à la conquête spatiale ou encore à la découverte des fonds marins. Cette histoire pourra également évoquer des valeurs personnelles, profondes, telles que la transmission de père en fils ou de mère en fille… Acquérir une montre de luxe, c’est aussi pour l’émotion plaisante de faire partie d'un de ces groupes, de s’identifier aux acteurs de ces aventures ou de partager ces valeurs. En somme, on achète ce bel objet plus pour l’émotion qu’il procure que pour regarder l’heure...
La montre de luxe est aussi un puissant marqueur social qui symbolise la réussite et permet de l’afficher. Porter une montre de luxe, c’est se rapprocher de celles et ceux qui font partie du « club » des connaisseurs et amateurs de telle marque et qui partagent le même statut social ou les mêmes valeurs. Le possesseur de l’objet pourra ainsi éprouver de la fierté, de la confiance en soi, une impression de puissance et de dominance. Par ailleurs, porter une montre de luxe pourra générer chez autrui différentes émotions, telles que l’admiration, le respect ou l’empathie.
À l’inverse, la montre de luxe pourra activer des émotions moins agréables. L’achat pourra être issu d’un processus complexe où cohabitent un profond désir de possession et la peur ou la frustration devant l’effort financier nécessaire. La décision d’achat pourra être freinée par la peur d’un vol ou d’une agression. Elle pourra l’être également par le malaise d’afficher un signe de richesse en présence de personnes moins fortunées. Si porter ce bel objet suscitera l’envie chez certains, d’autres pourront ressentir de la jalousie, voire exprimer un comportement de rejet à l’encontre de son propriétaire.
Ce qui nous conduit à l’achat, et qui est à la source du désir, c’est l’anticipation de la récompense et du plaisir que l’on ressentira à posséder l’objet. La décision d’achat dépendra donc de la position relative des plateaux d’une balance où la force de la récompense anticipée issue de la possession de la montre de luxe sera mise en compétition avec le coût–au sens large–occasionné par cet achat (les mécanismes cognitifs et cérébraux impliqués dans le circuit de la récompense seront abordés dans un prochain article de KeyEmotion Lab).
Le choix d’acquérir une Scuba Fifty Fathoms ou une MoonSwatch résulte d’un processus ressemblant, en de nombreux points, à celui à la base de la décision d’achat d’une montre de luxe. Les Scuba Fifty Fathoms et les MoonSwatch sont aussi des produits rendus exceptionnels par des campagnes de publicité savamment orchestrées et par un mode de distribution « au compte-goutte » qui en fait des objets fortement convoités. Preuve en est une vente essentiellement en boutiques et la présence de vigiles devant les magasins gérant les attroupements et semblant protéger des objets de valeur incommensurable. Ce phénomène n’est pas nouveau : il était présent déjà dans les années 1990 lors de la sortie des Swatch Chrono, par exemple. Ainsi, le plaisir de posséder des tels objets, rares, difficiles à obtenir et très convoités est bien réel. Obtenir une Scuba Fifty Fathoms ou une MoonSwatch peut même constituer une compétition ou un jeu agréable à mener. Acquérir une telle montre, c’est acquérir aussi un produit dont on parle, qui est à la mode et dans l’air du temps, et qui rendra envieux son entourage. Une telle acquisition peut également avoir comme objet de démarrer ou compléter une collection. L’existence de plusieurs modèles célébrant chacun un océan, dans un cas, et une planète, dans un autre cas, invite à acquérir la collection complète.
Bien sûr, et c'est là un point important, la possession d’une Scuba Fifty Fathom ou d'une MoonSwatch procurera également le sentiment de partager les valeurs véhiculées par les marques Blancpain et Omega, tout en évitant néanmoins les confusions : il s’agit bien d’une Swatch. Mais cela n'a rien de péjoratif, bien au contraire. La marque Swatch, à elle seule, possède une image très positive : celle d’une marque jeune, innovante, créative, et porteuse du rassurant label « swiss made ».
Logiquement, les associations Swatch-Blancpain et Swatch-Omega sont censées apporter un bénéfice aux trois marques : à Swatch, qui profite ainsi du prestige et de la notoriété des deux autres marques, et à Blancpain et Omega, qui sont ainsi associées à une marque jeune, moderne, innovante, audacieuse et très largement distribuée. Pour Blancpain et Omega, cette association et toute la communication qui l’entoure offre une opportunité unique de faire parler d’elles et permet de placer sous les feux de l’actualité certains de leurs modèles emblématiques. Tous les ingrédients semblent donc réunis pour constituer des opérations de type « gagnant-gagnant ».
Cet article montre donc que l’émotion occupe une place majeure dans le processus de décision d’achat, tant d’une montre de luxe que d’une Scuba Fifty Fathoms ou d'une MoonSwatch. Les raisons d’acquérir chacune de ces montres sont multiples et beaucoup sont communes à chacun de ces garde-temps. On achètera souvent une Scuba Fifty Fathoms ou une MoonSwatch pour ce qu’elles représentent et non par défaut (parce que l’achat d’une montre Blancpain ou Omega est trop onéreux). Ainsi, le fait d’acquérir une Scuba Fifty Fathoms ou une MoonSwatch ne devrait logiquement pas réduire le désir de posséder une Blancpain Fifty Fathoms ou une Omega Speedmaster Moonwatch. La médiatisation faite autour de ces opérations d’association pourra potentiellement rendre les Blancpain Fifty Fathoms et les Omega Speedmaster Moonwatch encore plus désirables. Posséder une Scuba Fifty Fathoms ou une MoonSwatch pourrait même constituer une première étape qui ne réduirait en rien le désir de leurs possesseurs d’acquérir plus tard, si leurs moyens le permettent, une Blancpain Fifty Fathoms ou une Omega Speedmaster Moonwatch. La possession de la montre Swatch pourrait même renforcer ce désir.
Toutefois, ce ne sont là que des hypothèses. Celles-ci pourraient être testées via une approche expérimentale proposant des tests explicites et implicites à des groupes de participants soigneusement sélectionnés. Les expériences réalisées permettraient d’évaluer l’agrément (liking) et la désirabilité (wanting) d’une Blancpain Fifty Fathoms ou d'une Omega Speedmaster Moonwatch avant et après (p.ex., 3 mois) l’achat d’une Scuba Fifty Fathoms ou d'une MoonSwatch. L’utilisation de tests implicites est primordiale car ceux-ci pourront révéler des éléments auxquels les participants n’auront pas accès de façon consciente et qu’ils ne pourront donc pas exprimer via des tests déclaratifs ou des questionnaires explicites. Nous avons vu en effet que les paramètres susceptibles d’agir sur le désir sont nombreux et la liste que nous avons dressée n’est pas exhaustive. D’une part, les participants n’auront pas conscience de l’ensemble des paramètres en jeu et ils n’auront pas accès au poids de chacun dans le désir ressenti. D’autre part, le désir ressenti ne constituera que le reflet conscient d’un processus complexe. La motivation à agir et la prise de décision dépendent de ce désir ressenti, mais également de processus qui échappent à notre introspection. C’est la raison pour laquelle il sera nécessaire de compléter cette mesure par une évaluation implicite.
Si vous êtes intéressés par une telle approche permettant de mesurer expérimentalement le potentiel d'agrément (liking) ou de désirabilité (wanting) d'un produit, à la fois sur le plan explicite et implicite, et que ce soit dans l’univers des montres ou dans tout autre domaine, n’hésitez pas à contacter KeyEmotion Lab.