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Le toucher affectif, qui repose sur des afférences tactiles et des fibres nerveuses spécifiques, peut participer à l’agrément ressenti au cours de l’application d’un produit cosmétique. Toutefois, cet agrément est le résultat d’une multitude de facteurs et de l’intervention de différents types d’informations ascendantes (bottom-up) et descendantes (top-down). Quels sont ces facteurs et ces informations et comment étudier cet agrément ? Cet article a comme objectif d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions.
Le sens du toucher nous apporte une grande variété d’informations de notre environnement. C’est un sens très robuste qui est le premier à être opérationnel et qui est moins affecté par le vieillissement que la vue ou l’ouïe. Le sens du toucher est particulier pour le nombre de fonctions qu’il remplit. Il permet de prendre la température d’un objet, d’apprécier sa rugosité ou sa dureté, d’en déterminer la forme ou le contour, de différencier des objets, ainsi que de les identifier… Il permet également d’apprécier la force d’une pression, de signaler la présence d’une blessure ou d’un insecte, ou encore de nous informer que notre chaussure de ski est trop serrée… Le sens du toucher participe aussi aux interactions sociales, en rassurant une personne (ou en l’énervant) en lui prenant la main ou en lui donnant une tape sur l’épaule… Il permet aussi d’exprimer son affection et son amour à son partenaire par des caresses… Il permet de recevoir des informations via des objets communicants ou dans le cadre de la réalité virtuelle… de trouver son chemin dans l’obscurité… ou permet à une personne aveugle de prendre connaissance d’un texte. Cette liste, non exhaustive, montre à quel point le sens du toucher est pluriel et omniprésent, ce qui augure sa complexité.
En étudiant cette complexité, il a été possible de différencier différents systèmes. On différencie tout d’abord la perception cutanée, qui est passive, et qui résulte de la stimulation d’une région de notre corps, de la perception tactilo-kinesthésique (qualifiée aussi de perception haptique) qui résulte d’une prise d’information active comprenant des informations cutanées, mais aussi proprioceptives, c’est-à-dire des informations en provenance de nos muscles, de nos tendons et de nos articulations et nous offrent des indices des mouvements effectués. Toutes ces informations sont nécessaires dans l’exploration manuelle, par exemple, qui nous permet d’apprécier la forme d’un objet. Bien que ce type de perception nous paraisse simple et évident car ne nécessitant aucun effort, il résulte de calculs extrêmement complexes intégrant une multitude d’informations.
La richesse des informations récoltées nécessite une pluralité de récepteurs de différente nature. Ces récepteurs, reliés à différents types de fibres nerveuses, transmettent leurs signaux à différentes aires du cortex. La discrimination tactile repose sur des mécanorécepteurs reliés à de grosses fibres nerveuses très rapides (myélinisées) qui envoient leurs signaux au cerveau à une vitesse d’environ 60 m/s, soit à plus de 200 km/h. Les récepteurs à la douleur (nocicepteurs) ou à la température sont reliés à des fibres plus lentes, qui propagent leurs informations à une vitesse d’environ 12 m/s, soit à plus de 40 km/h, ainsi qu’à des fibres plus lentes encore, dites fibres du groupe C dont la vitesse de conduction est inférieure à 2 m/s, soit uniquement quelques km/h. Ces fibres très lentes transmettent également les sensations de démangeaisons et servent au « toucher affectif ». Les afférences tactiles reliées aux fibres C (afférences TC) ne se trouvent que dans la peau qui porte des poils et sont sensibles à des stimuli qui se déplacent relativement lentement sur la peau. La vitesse idéale de déplacement de l’objet de stimulation sur la peau serait comprise entre 2 et 3 cm par seconde ; c’est à cette vitesse là que l’amplitude du signal transmis par les fibres C concernées est la plus grande.
Le toucher affectif
Le rôle fonctionnel des afférences TC dans le toucher affectif n’a été proposé que vers le début des années 2000. Un argument important en faveur de l’existence d’un système à la base du toucher affectif provient de l’observation de doubles dissociations en neuropsychologie. L’observation d’une double dissociation représente un argument important en faveur de l’existence de systèmes distincts sous-tendant deux fonctions A et B. La double dissociation implique d’identifier deux patients, l’un montrant un déficit de la fonction A, alors que la fonction B est intacte, l’autre montrant un déficit de la fonction B, alors que la fonction A est intacte. Le raisonnement est le suivant : si les deux fonctions dépendaient d’un même et unique système, alors une lésion de ce système entraînerait un déficit des deux fonctions. Or, si chaque fonction peut être perturbée isolément, elles reposent forcément sur des systèmes différents. Dans le cas qui nous occupe, des patients ont été observés qui avaient perdu la fonction de discrimination tactile à la suite d’une pathologie entraînant la destruction des grosses fibres rapides myélinisées. Ces patients avaient également perdu toute possibilité de réaction à une pression ou une vibration, sur l’ensemble du corps. Fait remarquable, ils parvenaient néanmoins à percevoir le déplacement d’un pinceau sur le bras qu’ils interprétaient comme générant une sensation douce et agréable de léger frôlement. Il a pu être mis en évidence grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle que cette stimulation entraînait une activation de l’insula postérieure, structure qui s’active habituellement en cas d’émotion positive et d’émotion amoureuse. Ces observations montrent que les stimulations douces et lentes comprennent une dimension à la fois sensorielle et émotionnelle, tout comme la douleur, par ailleurs. D’autres patients ont pu être décrits présentant un déficit opposé : le système reposant sur les afférences TC était déficitaire, alors que la fonction de discrimination tactile était intacte. Ces patients, souffrant d’une neuropathie héréditaire sensitive, étaient donc insensibles, eux, aux stimulations douces et leur insula postérieure ne s’activait pas lors de caresses sur le bras. L’observation de cette double dissociation montre ainsi que nous sommes bien en présence de deux systèmes distincts : l’un au service de la discrimination tactile, l’autre au service du toucher affectif.
Des différences inter-individuelles et situationnelles
Des études récentes ont montré que le caractère plaisant du toucher affectif varie entre les individus et les situations. La nature de la dimension affective de cette stimulation est en fait déterminée par l’adéquation entre l’objectif de la stimulation perçu par la personne stimulée et ses attentes et besoins. En d’autres termes, si la personne perçoit que l’objectif de la stimulation est de lui témoigner de l’affection et qu’elle est elle-même en attente d’affection, alors la stimulation sera perçue comme agréable. Si la même caresse est appliquée dans une situation de conflit ou par un inconnu, elle sera perçue comme désagréable ou intrusive. L’arrivée des signaux à l’insula postérieure via les fibres TC semble donc nécessaire mais non suffisante pour déclencher une sensation agréable. L’insula postérieure reçoit d’autres signaux, en provenance du corps et d’autres régions corticales ; c’est l’intégration de l’ensemble de ces informations qui génère ou non une sensation plaisante.
L’influence d’informations top-down
Il est aujourd’hui largement démontré que quelle que soit la modalité perceptive considérée, la perception n’est pas le simple fruit d’un mécanisme ascendant (bottom-up), mais que des informations en mémoire sont utilisées dans le traitement des stimuli perçus. Ainsi, tout au long de le chaîne de traitement perceptif, des influences modulatoires en provenance de niveaux hiérarchiquement supérieurs (top-down) peuvent s’exercer. Dans la modalité tactilo-kinesthésique, qui nous intéresse ici, il a été montré que l’utilisation de labels lexicaux comme « crème hydratante riche » ou encore « crème de base » présentés visuellement lors de l’application d’une crème sur l’avant-bras entraîne des modifications des réponses corticales dans des régions recevant les informations perceptives. Ces modifications sont également observées au niveau des réponses explicites d’agrément produites par les participant(e)s concernant les crèmes appliquées. Le plaisir procuré par un produit appliqué sur le corps peut donc être modifié (augmenté ou diminué) par la présence d’informations complémentaires présentées via une autre modalité perceptive pendant ou avant l’application.
L’application d’une crème de beauté : un geste simple, des mécanismes complexes
L’agrément résultant de l’application d’une crème de beauté est une préoccupation majeure de toutes les marques de cosmétiques. Il s’agit d’un élément clé des tests cosmétiques et des analyses sensorielles. Avant d’examiner la façon d’étudier cet élément clé, penchons-nous sur les mécanismes perceptifs et cognitifs impliqués. Quoi de plus simple que le geste d’appliquer chaque jour une crème de beauté sur sa peau ? Pourtant, en décortiquant ce geste d’un regard scientifique, il apparaît rapidement qu’il n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. L’appréciation du produit dépend d’un nombre important de facteurs.
Considérons premièrement le seul domaine du toucher. Les caractéristiques de la crème (sa fluidité, sa légèreté, son caractère riche ou onctueux, sa température…) seront analysées à la fois par les capteurs de la main qui l’applique (dans le cas où la personne testée applique elle-même la crème) et les capteurs de l’épiderme où la crème est appliquée. Lors de ce geste, tous les récepteurs et les fibres nerveuses décrits plus haut seront impliqués. Dans cette action complexe qui met en présence un organe qui applique (effecteur), avec ses dimensions motrices et tactilo-kinesthésiques et un organe récepteur, avec ses dimensions à prédominance sensorielle, la synchronisation et l’interaction des deux organes sont cruciales. Nous avons vu plus haut que les variables de pression et de vitesse de stimulation sont importantes dans l’agrément perçu, notamment grâce aux afférences TC qui sont stimulées. La sensation perçue sera donc une combinaison des informations complexes issues des relations entre effecteur et récepteur.
Deuxièmement, l’effet de ces informations complexes pourra varier selon les dispositions et les attentes de l’individu. En effet, une même stimulation pourra être perçue comme agréable, neutre, voire désagréable en fonction de la façon selon laquelle l’évènement sera interprété et de la nature de l’objectif. Consiste-t-il « simplement » de tester une crème ou de répondre au besoin de se faire plaisir avec le produit ? Dans le cas où un professionnel applique la crème (de manière standardisée pour garantir des conditions d’application uniformes), les informations véhiculées par le toucher affectif pourront différer en fonction de l’adéquation entre les attentes de la personne testée et son interprétation des intentions du professionnel ou des liens qu’elle partage avec lui.
Troisièmement, l’agrément ressenti va dépendre de la représentation ou de l’image préalablement construite concernant la crème. Cette image peut être véhiculée par la marque. Même si celle-ci n’est pas divulguée, la personne testant la crème peut s’en faire une idée. Cette idée pourra être influencée par le contexte du test (qualité des locaux, comportement des personnels d’accueil et de test…). Cette image pourra dépendre aussi du packaging ou des caractéristiques du contenant neutre du produit ou de toute autre information visuelle ou auditive captée avant et pendant le test. Des informations top-down issues d’autres modalités perceptives pourront donc influencer les informations issues du toucher.
Enfin, des caractéristiques de la crème autres que celles issues du toucher pourront intervenir. Ses caractéristiques visuelles et olfactives pourront également influencer la perception et l’agrément ressenti.
L’évaluation de l’agrément
Ce bref article montre que l’agrément lié à l’utilisation d’un produit dépend d’un nombre de facteurs étonnamment large. Le toucher affectif est un facteur jouant certainement un rôle important. Le nombre et la nature des facteurs impliqués échappe à l’introspection de la personne testée. La partie consciente qui émerge de cette analyse complexe et qui pourra être captée via une approche déclarative (entretien, questionnaire…) est certes importante, mais non suffisante pour rendre compte de l’agrément effectif et de la motivation future du consommateur testé à réutiliser le produit. Une approche implicite doit donc être utilisée pour compléter le recueil des éléments déclaratifs.
Notre connaissance des mécanismes cognitifs et cérébraux montre que l’agrément lié au produit testé émerge à un niveau supérieur de traitement qui sort totalement du cadre de la modalité initiale de prise d’information. L’agrément est le résultat de computations effectuées via des systèmes et sous-systèmes spécialisés situés dans plusieurs parties du cerveau. Il n’est donc pas ou plus spécifiquement lié à la modalité tactile ou tactilo-kinesthésique.
Ceci offre un avantage considérable en termes de possibilités d’études de l’agrément. En effet, il peut dès lors être étudié via des tests effectués dans d’autres modalités que la modalité initiale de prise d’information. Certaines modalités, comme la modalité visuelle, se prêtent bien mieux que la modalité tactile ou tactilo-kinesthésique au recueil de paramètres précis permettant les mesures d’agrément ou de désirabilité. Par exemple, des tests visuels spécifiques, fiables et issus des avancées scientifiques les plus récentes en sciences cognitives et neurosciences cognitives permettent de quantifier l’agrément (liking) et la désirabilité (wanting) d’un produit. Dans ces tests, des indices visuels, parfaitement associés au produit testé peuvent être utilisés pour apprécier finement le liking et le wanting d’une crème de soin, via des protocoles expérimentaux originaux dans lesquels les temps de réponse sont récoltés et traités dans des modèles d’analyse modernes, performants et prédictifs. Ces tests, proposés par KeyEmotion Lab, permettent la comparaison de mesures obtenues avant et après l’application d’une crème, ou de comparer les effets de différentes crèmes. Si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à nous contacter via la rubrique « contacts » sur Keyemotionlab.com.